A mon avis, et j'y mets toute l'humilité possible dans ce que je pense, il faut avoir en tête que le bonsaï fait partie d'une culture asiatique et comme tel en est une sorte d'artefact, un symbole d'une idée de nature. Les Japonais, comme les Chinois et les Coréens sont particulièrement sensibles à la nature, y compris d'un point de vue spirituel, du moins avant les grands bouleversements politiques et économiques de la fin du XIXème et tout au long du XXème siècle. La représentation de la nature dans les peintures japonaises ou chinoises est intrinsèquement idéalisée, dépouillée à l'extrême parfois, souvent baroque. C'est avant tout une projection mentale, édifiée selon des principes bouddhistes, essentiellement zen au Japon, avant l'édification du culte Shinto comme religion officielle. La plupart des peintures japonaises représentant un paysage (Sansui) est construite intellectuellement avant d'être jetée sur le papier ou la soie à coups de pinceau et d'encre. Il n'y a pas nécessairement désir, ni même besoin de représenter un paysage de façon réaliste.
Le bonsaï est je pense issu de cette mémoire là. Peut-être associé en des temps anciens, sous l'ère Muromachi puis au long de la période Edo à des pratiques de méditation dans les temples, principalement issus de sectes zen importées par des moines chinois, avant l'ère des Tokugawa et la fermeture du Japon à l'occident et à la Chine.
Ensuite l'art du bonsaï a certainement évolué vers une vision plus profane, gagnant en liberté et en poésie. De nos jours, et avec notre culture occidentale, je pense qu'il faut chercher avant tout à rendre un arbre expressif, c'est à dire exprimant des qualificatifs positifs tels que force, grâce, harmonie, beauté, élégance, équilibre mais aussi des caractères plus "mortifères" : fragilité, avanies de la vieillesse, affres du temps, douleur, afflictions dues aux épreuves météo, déséquilibre. Ces caractères pouvant plus ou moins se mélanger et s'interpénétrer, selon ce que nous souhaitons mettre en valeur. La construction d'un arbre s'associe à une idée de nature plus qu'à une volonté de la copier.
Quand nous choisissons un arbre avec du bois mort que nous cherchons à révéler, nous n'espérons ni plus ni moins que la beauté d'une patine ou l'usure d'un bois traduise la personnalité de l'arbre et le grandisse, le faisant passer de simple bout de bois à bonsaï: arbre remarquable. Et en même temps, tout le travail des branches et des rameaux doit exprimer légèreté, ordre, harmonie, parfois en contradiction apparente avec le maelström d'une écorce fissurée ou d'un bois mort craquelé et déchiqueté.
De cet antagonisme, ou au contraire de la seule harmonie de la construction de l'arbre, nait la poésie d'un arbre qui saura nous émouvoir ou pas. La beauté est parfois cachée, moins évidente à embrasser. Elle se révèle discrètement, dans la construction apparemment banale des branches qu'un amateur aura patiemment et sereinement taillées, avec toute la sincérité qu'il aura apportée à ses travaux. D'autres arbres sont plus évidents, plus fracassants aussi dans leur caractère, emphatique, parfois excessif. Le bois mort se fait alors sculpture que le feuillage vient souligner, d'autres ne se montrent agréables à regarder qu'avec leur feuillage fragile et aérien qu'un rayon de soleil vient illuminer.