Episode 1 : L'invention
Ce lundi 28 avril 2014 je tombe sur cet espace à plus de 1000 m complètement ravagé par la tempête de décembre 1999, un espace ouvert comme le yamadoriste les adore. Ils sont rares dans ces Vosges où hêtres, épicéas et sapins se tirent la bourre à qui mieux mieux.
Ces tempêtes qui font le désespoir du sylviculteur, laissent la place à des versants entiers de régénération naturelle soumis au cagnard estival et aux mâchoires des cervidés. Ajoutez à cela les rigueurs climatiques dues à l'altitude et vous avez les ingrédients d'une zone de combat pour les jeunes arbres.
Ce lundi-là j'étais sur le champ de bataille.
Une centaine (deux centaines ?) de hêtres hauts comme trois pommes avec çà et là des bosquets d'épicéas qui les dépassaient déjà largement mais qui étaient bien regroupés. Tout cela formait une espèce de labyrinthe sur 3 ou 4 hectares parsemés de ce qu'on pouvait prendre pour un champ de bonsaïs de hêtres en pleine terre. Mais à première vue seulement...
De loin, chaque hêtre formait une boule d'au plus 1m de haut. Fabuleux !
Les cervidés s'en étaient donné à cœur joie. Hallucinant !
Les troncs avaient des diamètres oscillants entre celui de mon poignet et celui d'un manche à balai. Excellent !
L'euphorie de la découverte cède vite la place à la déception
Ces arbres avaient des tonnes de branches puissantes, enchevêtrées, spiralant les une autour des autres, et pour un bon candidat au prélèvement c'est rédhibitoire chez le hêtre. En effet cette espèce développe rapidement des inversions de conicité dès lors que 2 ou 3 branches partent au même niveau.
Vous auriez pu voir ce jour là un mec qui sautillait d'une petite boule de hêtre à l'autre après avoir palpé du bas vers le haut le tronc de chacun d'entre eux. Limite obscène. La douceur et la délicatesse de l'écorce du hêtre donne les mêmes sensations que le haut de la cuisse d'une belle rousse.
Avec une telle densité de branches, (le hêtre est marcescent) le toucher est le seul sens digne de confiance pour se faire une idée de la structure réelle de l'individu (1). Le verdict était démoralisant : Inversion de conicité systématique.
Quasi-systématique. Vous vous doutez bien qu'avec un tel nombre de candidats il y en aurait bien quelques-un avec un tronc plus sage. Et ce fut le cas.
L'arbre de ce sujet était un de ces bons élèves.
L'étape suivante ce jour là je ne devrais pas en parler ici. Car on ignore souvent que si le prélèvement sans autorisation est strictement interdit, la taille d'un arbre dans son milieu naturel l'est tout autant.
L'arbre dans son milieu d'origine en ce jour d'Avril 2014
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Même si ces photos sont un peu confuses on voit que j'ai donc taillé quelques branches de ce hêtre pour l'inventer, c'est-à-dire arriver à percevoir avec mes yeux (1), cette fois-ci, sa structure et imaginer l'arbre qui était dans l'arbre. Et le résultat fut concluant.
Il n'y avait plus qu'à demander l'autorisation de prélèvement en taisant bien sûr mon intervention un peu hâtive. Et ainsi fut fait...avec tracasseries mais avec succès. On pourrait filer à cet endroit la métaphore de la belle rousse, mais bon ….
(1) Je me suis souvent demandé s'il existait des personnes totalement aveugles qui cultivent des bonsaïs. En connaissez-vous ?