Évolution d'un Hêtre du yamadori à la culture

Il s'agit d'un hêtre inventé en Avril 2014 et prélevé en novembre 2015 à 1100m d'altitude

Voici à quoi il ressemblait en juin de cette année après ces quelques années de culture.

Vues des 2 faces avant et arrière.

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Diamètre du tronc : 7,5 cm

Hauteur à partir du substrat : 72cm

Vues de profil gauche et droit

 

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Je vous propose de feuilletonner les différentes étapes qui m'ont amenées à le chausser d'un pot pour la première fois au printemps dernier, de vous faire part à toutes fins utiles de quelques observations et autres surprises entre son invention et le début de sa carrière en pot.

Enfin je compte sur vos critiques ou suggestions surtout lorsque je vous soumettrai l'arbre tout nu.

 

Le profil gauche me paraît très intéressant, la ligne de tronc apparaît beaucoup plus dynamique. Par contre il faudrait alors peut être songer à faire sauter sa première branche, pour pouvoir profiter du premier mouvement du tronc. Un joli hêtre en devenir. En attendant de le voir à poil.

C’est vrai que, pour autant qu’on puisse en juger sur photo, le profil gauche offre un très très joli mouvement !

effectivement une vue de coté semble une bonne option, il semble y avoir une grosse inversion de conicité en vue de face et d'arrière.

Hâte de le voir tout nu celui-ci ! En tous cas tu maîtrise la taille des feuilles...

Il a un bel aspect ce hêtre. Et sa première pousse à l’air plutôt bien équilibrée.

Effectivement ça va être intéressant de le voir sans feuilles.

Tu peux nous mettre une photo de l’arbre maintenant?

En tous cas tu maîtrise la taille des feuilles...

Les feuilles qu'on voit sur la photo sont jeunes et sont celles de la première pousse. Il y a encore les" gaines" des bourgeons. Mais effectivement elles sont bien belles.

Question taille des feuilles je  suis très peu intervenu : simplement la suppression des secondes pousses. Étant donné ce que je lui ai fait subir durant ces 4 dernières années on verra qu'il avait trop besoin d'une masse foliaire optimale.

Episode 1 : L'invention

 

Ce lundi 28 avril 2014 je tombe sur cet espace à plus de 1000 m complètement ravagé par la tempête de décembre 1999, un espace ouvert comme le yamadoriste les adore. Ils sont rares dans ces Vosges où hêtres, épicéas et sapins se tirent la bourre à qui mieux mieux.

Ces tempêtes qui font le désespoir du sylviculteur, laissent la place à des versants entiers de régénération naturelle soumis au cagnard estival et aux mâchoires des cervidés. Ajoutez à cela les rigueurs climatiques dues à l'altitude et vous avez les ingrédients d'une zone de combat pour les jeunes arbres.

Ce lundi-là j'étais sur le champ de bataille.

Une centaine (deux centaines ?) de hêtres hauts comme trois pommes avec çà et là des bosquets d'épicéas qui les dépassaient déjà largement mais qui étaient bien regroupés. Tout cela formait une espèce de labyrinthe sur 3 ou 4 hectares parsemés de ce qu'on pouvait prendre pour un champ de bonsaïs de hêtres en pleine terre. Mais à première vue seulement...

De loin, chaque hêtre formait une boule d'au plus 1m de haut. Fabuleux !

Les cervidés s'en étaient donné à cœur joie. Hallucinant !

Les troncs avaient des diamètres oscillants entre celui de mon poignet et celui d'un manche à balai. Excellent !

 

L'euphorie de la découverte cède vite la place à la déception

Ces arbres avaient des tonnes de branches puissantes, enchevêtrées, spiralant les une autour des autres, et pour un bon candidat au prélèvement c'est rédhibitoire chez le hêtre. En effet cette espèce développe rapidement des inversions de conicité dès lors que 2 ou 3 branches partent au même niveau.

 

Vous auriez pu voir ce jour là un mec qui sautillait d'une petite boule de hêtre à l'autre après avoir palpé du bas vers le haut le tronc de chacun d'entre eux. Limite obscène. La douceur et la délicatesse de l'écorce du hêtre donne les mêmes sensations que le haut de la cuisse d'une belle rousse.

Avec une telle densité de branches, (le hêtre est marcescent) le toucher est le seul sens digne de confiance pour se faire une idée de la structure réelle de l'individu (1). Le verdict était démoralisant : Inversion de conicité systématique.

Quasi-systématique. Vous vous doutez bien qu'avec un tel nombre de candidats il y en aurait bien quelques-un avec un tronc plus sage. Et ce fut le cas.

L'arbre de ce sujet était un de ces bons élèves.

 

L'étape suivante ce jour là je ne devrais pas en parler ici. Car on ignore souvent que si le prélèvement sans autorisation est strictement interdit, la taille d'un arbre dans son milieu naturel l'est tout autant.

L'arbre dans son milieu d'origine en ce jour d'Avril 2014

 

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Même si ces photos sont un peu confuses on voit que j'ai donc taillé quelques branches de ce hêtre pour l'inventer, c'est-à-dire arriver à percevoir avec mes yeux (1), cette fois-ci, sa structure et imaginer l'arbre qui était dans l'arbre. Et le résultat fut concluant.

Il n'y avait plus qu'à demander l'autorisation de prélèvement en taisant bien sûr mon intervention un peu hâtive. Et ainsi fut fait...avec tracasseries mais avec succès. On pourrait filer à cet endroit la métaphore de la belle rousse, mais bon ….

 

(1) Je me suis souvent demandé s'il existait des personnes totalement aveugles qui cultivent des bonsaïs. En connaissez-vous ?

1 « J'aime »

Trop chouette ton roman. J’aime bien ta description de cette jolie rencontre.

j’ai eu une occasion semblable de trouver des jolis hêtres aussi. Pour l’instant ils sont en culture.

Episode 2 : prélèvement et convalescence de l'arbre

 

 

Alors que plus d'un an s'est écoulé depuis l'invention de ce hêtre, le voici en feuille durant cette période d'observation avant l'action.

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Août 2015

Le prélèvement aurait été moins scabreux si je m'y étais pris le matin plutôt que de commencer à creuser vers 15 h ce 18 Novembre 2015. Il fait beau. Le soleil est déjà assez bas sur l'horizon. J'attaque alternativement à la pioche à manche court et au louchet.

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Mon louchet

 

À 17 h l'arbre tient encore bon dans une ambiance entre chien et loup où toute photo est impossible. Le soleil est passé derrière les cimes depuis longtemps et l'obscurité devient franchement handicapante quand l'arbre se rend enfin.

On n'y voyait plus rien pour emballer la motte dans la toile de jute. Pour rassembler les outils (scie, sécateur, petite pelle, griffe à racines, scotch brun etc) un lampe frontale aurait été la bienvenue et m'aurait évité de ramper à 4 pattes pour retrouver à tâtons tout ce petit matériel.

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Mon petit matériel.

 

Tituber vers la voiture , soulever le haillon arrière, caler l'arbre, ranger, s'effondrer dans le siège, contact, go.

 

Les sensations qui vous envahissent au réveil le lendemain matin sont un peu comparables à celles que nous éprouvions le matin du 25 décembre quand le Père Noël était passé.

Grosse excitation quand il faut défaire le paquet.

J'ai débarrassé l'arbre au 3/4 de sa terre d'origine essentiellement constituée de sable de grès rose parsemée de roches de la taille d'un poing. Ce sont justement ces dernières qui font toute la difficulté d'un tel prélèvement. Je constate qu'il y a beaucoup de grosses racines et peu de fines. Ensuite, je l'ai placé assez profondément dans la terre du jardin pour hivernage.

 

Au printemps 2016 je guette la reprise de l'arbre qui ne tarde pas à exprimer ses bourgeons. Dans le cas d'un hêtre prélevé il faut attendre fin mai début juin pour savoir si le débourrement se fait sur les réserves de l'arbre ou si ses racines sont vraiment actives. Si le hêtre débourre uniquement sur ses réserves les jeunes pousses flétrissent deux à trois semaines après leur éclosion. Cette observation résulte du seul yamadori de hêtre que j'ai raté.

A la mi-juin j'ai ressenti un réel soulagement à voir les pousses perdurer et se développer normalement.

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Été 2016 en pleine terre de jardin.

 

L'arbre restera en pleine terre à se requinquer jusqu'au printemps 2017.

citation de Bonsaiphil :

(1) Je me suis souvent demandé s'il existait des personnes totalement aveugles qui cultivent des bonsaïs. En connaissez-vous ?

 

 

Pour celles et ceux qui me connaissent depuis fort longtemps, elles/ils doivent se souvenir qu'à cette époque je donnais des cours de taille sur aubépine à des aveugles ....

@bonsaiolo

quel sadique! :spb96:

Épisode 3 : mise en caisse de culture

 

Épisode 2 : prélèvement et convalescence de l'arbre

Épisode 1 : L'invention

 

En mars 2017 je sors l'arbre de terre , je lave le système racinaire que je le découvre pour la première fois dans son ampleur et ses détails.

Racines avant la taille

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J'ai toujours été frappé par la puissance que dégagent des racines du hêtre comparé à d'autres espèces.

 

Racines après la taille

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On notera l'asymétrie de la distribution des racines autour du nebari après cette taille sévère. Tôt ou tard il fallait en passer par là. Mais l'espèce a la capacité de développer de nouvelles racines à partir du moignon au dessus de la coupe.

 

Morceaux de racines éliminées

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Installation de l'arbre dans une caisse à pinard (12 bouteilles)

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chouette , vivement la suite :)

Épisode 4 : deux années en caisse

 

Épisode 3 : mise en caisse de culture

Épisode 2 : prélèvement et convalescence de l'arbre

Épisode 1 : l'invention

 

Après le déplacement de la pleine terre en caisse de culture (2017) l'arbre se réveille bien, il débourre uniformément et au moment attendu. La réduction importante des racines ne semble pas l'avoir affecté le moins du monde. C'est le bénéfice d'un séjour en pleine terre préalable.

En juin il est assez fort pour que je commence à réduire ou supprimer quelques branches et à haubaner celles qui ont tendance à se cabrer.

 

Juin 2017

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L'année 2018 - il reste dans sa caisse - se passe tout aussi bien que 2017. Je me permets de pincer les nouvelles pousses à deux feuilles dés leur débourrement comme le préconise Harry Harington (entre autres). Cela permet d'obtenir un bourgeonnement arrière et de rapprocher le feuillage. Il a répondu conformément aux prévisions.

 

Juillet 2018

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L'arbre pousse bien, les cicatrices se referment à la vitesse grand V.

En outre, ces deux années de culture m'ont permis de décider des futures faces frontales / latérales. En réalité ce sont les positions des deux premières charpentières qui en ont décidé.

elles ont dicté le plan frontal parce que :

- Trop imposantes pour être écartées

- En accord avec le diamètre du tronc

- Quasiment dans la même direction, l'une à gauche l'autre à droite

- Joliment décalées en hauteur

 

Tout cela sera visible dans le prochain épisode pour lequel je soumettrai à la horde sauvage des critiques les seules images de l'arbre nu que je possède pour l'instant.

 

La bonne santé de ce fayard m'a convaincu de le chausser d'une poterie à bonsaï dès le printemps 2019.

belle narration et bel arbre. Allez, envoi la suite !

La suite ? Mais attend, ça ne se fait pas comme ça d'un tour de main. :spb102:

Il faut retrouver la doc, organiser l'info, choisir ses mots, corriger les fautes de style ou d'orthographe. C'est du boulot si on veut écrire autrement qu'on parle.

Je suis assez content de voir que pour cet arbre les critiques de la manière de conduire la culture se sont taris... pour l'instant.

Plus j'avance dans les épisodes plus j'ai de chances à ce qu'on me tombe dessus. Mais ça fait partie du jeu.

En effet, très bon sujet à suivre tant pour les qualités de l'arbre, de son évolution et de la narration !

Épisode 5 : un passage en pot difficile

 

Épisode 4 : deux années en caisse

Épisode 3 : mise en caisse de culture

Épisode 2 : prélèvement et convalescence de l'arbre

Épisode 1 : l'invention

 

Placer un yamadori dans sa première poterie est une phase délicate pour laquelle la préoccupation majeure est de trouver les bonnes dimensions et le bon volume plutôt qu'un "joli" pot. L'objectif n'est pas seulement de caser confortablement les racines mais aussi de réaliser ceci avec un arbre présentant la bonne face vers l'avant du pot.

Au printemps dernier, une fois l'arbre débarrassé de l'ancien substrat, je me rends compte de l'impossibilité de le placer dans le pot initialement prévu.

 

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dimensions : 38,1 x 28,1 x 8,5cm

 

Ce pot était trop étroit pour tourner l'arbre dans la position voulue. J'avais déjà bien rabattu les racines, mais avec la meilleure volonté du monde cela ne passait pas si je voulais assurer la survie de ce hêtre.

On voit là tout l'intérêt d'avoir quelques pots en réserve, et j'ai donc opté pour celui-ci, de moindre profondeur mais de surface supérieure

 

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dimensions  42,0 x 33,3 x 7,4 cm dans une version émaillée du pot choisi

 

Je n'avais plus trop le choix, c'était le seul pot qui sommeillait à la cave et qui pouvait éventuellement convenir. À ce stade avec l'arbre à racines nues il n'était plus question de chercher sur internet et passer commande.

 

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Racines après une première taille

 

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Néanmoins pour mettre l'arbre en position j'ai été obligé de réduire encore d'avantage quelques grosses racines au point où j'étais conscient de prendre des risques.

 

Les 4 faces de mon hêtre tout nu en avril 2019 et installé dans sa première poterie

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Faces avant et arrière

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Faces latérales

 

Et l'arbre n'a pas manqué de me tirer la tronche quand, début mai 2019, le moment de débourrer fut arrivé.

(A suivre)

Quel suspens de dingue !! Merci