Rien ne pousse jamais pour rien.

" Au départ les branches poussent avec l’aisance d’une jeunesse insouciante à travers laquelle les rêves pullulent en quantité phénoménale, libres comme le vent et légers comme du pollen. Mais le pollen ça pique les yeux et on les frotte avec hardeur sans arriver vraiment à tout enlever. Le regard devient plus lourd, les paupières nous grattent et la vision est troublée. Tout ce qui s’offrait à la vue, avec une facilité déconcertante, ne l’est plus permis par cause de cécité. "

On apprend les couleurs, les signes, les végétaux, la théorie, la pratique. Les mots s’ancrent dans votre matière grise comme des atomes d’une passion qui s’anime au rythme d’une volonté de savoir, de comprendre sans cesse grandissante. Kengaï, moyogi, shoshubaï, goyomatsu, kutromatsu, kindaï, aligato, senseï, shimpaku, yose ue, netsuranari, tosho, nebari, neagarida et tant d’autres termes qui s’accumulent pour rien, s’ajoutant à tous ses noms de végétaux appris par coeur en latin pour des raisons qui nous échappent. Parce qu’au final on finit par ne plus se servir de tout cela, on l’oublit, cela reste disponible mais sans usage. Le substrats, les conditions végétales et les traitements ne sont plus qu’un parallèle indistinct, une obligation passagère, un souffle provisoire. Parce que le bonsaï c’est avant tout un sentiment, une émotion quelque chose que l’on ressent avant de réfléchir. La thélologie, la théorie, la didactique ne sont que des moyens d’étouffements, armes privilégiés des érudits incompétents. Parce que la connaissance est un poison, une manière d’etouffer les foules ingénues par un savoir supérieur auquel elle n’a pas accès. Samael sort sa langue fourchue et divise les hommes pour leur faire oublier qu’un jour, dans la pureté de leur innocence, ils ont connu la possibilité du sentiment, la joie d’avoir encore un instinct. Quelque chose qui parle sans utiliser de mots, un fluide, un courant, impalpable mais si juste. L’art ne se transpose pas, jamais, sous aucune forme, il ne s’intelectualise pas non plus, non, jamais, ils se respire, se restitue dans un frisson, un oubli de soi. Une conjonction éternelle blottie dans un instant furtif. Apprendre, savoir, imposer, tout cela n’est et ne sera jamais que distraction. Le bonsaï ne doit pas être un simple objet décoratif, quelques nuages sur un tronc qui bouge. La complexité est là, dans ce petit être, vivante, en mouvement, imperceptible. Comprendre c’est se brûler les ailes , c’est quitter le labyrinthe et comme Icare s’en brûler les ailes. Comprendre c’est déchirer les portes de l’enfer, lécher les laungues du Cerbère, pleurer l’insouciance à jamais perdue. Vanité, orgeuil, humilité, noyé dans la masse des mots informes que l’on entend, que l’on lit et que l’on oublit aussi facilement que l’on existe. Parler végétal, oui , c’est ça, parler végétal est le seul but. Un art qui ne bouge plus, qui regresse est un art qui se meurt. Le 21 éme siècle est là, à nos portes. La France est toujours et encore dans le complexe d’infériorité à se poser des questions métaphysiques. La France suce son pouce.

Intelectualiser, toujours intelectualiser. Je préfère de plus en plus les mots, parce que je sais qu’ils n’ont aucune valeur, qu’ils s’échappent et disparaissent à la vitesse à laquelle ils sont apparus. Le bonsaï est un art vivant, vivant et éternel. Les mots, c’est plus facile, tellement, il suffit de les manipuler, de les secouer, à sa guise. La folie n’est pas loin, voler, trop haut, pourquoi faire ?