Réflexions sur notre pratique commune.

Bonsoir à toutes et tous,

Voici l’humble exposé d’une réflexion m’étant venue depuis quelques temps, en fait depuis que je me vis happer en ce monde où l’homme devrait tendre à la symbiose avec la Nature, car nous ne devrions être qu’un adjuvant, une mycorhize participant au Bien-Etre des arbres, dans le meilleur cas au-lieu de nous confiner au rôle de grand ordonnateur armé de quelque outil que se soit, si bien affûté soit-il et quelqu’en soit le niveau de facture.

Il ne vous aura en rien échapper que le bonsaï étant redevenu populaire, comprendre en celà qu’il est redevenu commercialement rentable et quelle rentabilité devrions-nous ajouter, son succès croisant de concert avec la vanité de bons nombres de praticiens et autres opportunistes qui pour des raisons bassement mercantiles se sont attribués le titre de "Maître Bonsaï", leurs créations, parfois même uniquement prétendues, pouvant alors recevoir le plus doux des sobriquets qui puisse être entendu par l’oreille du passionné: "Masterpiece", "Pièce de Musée", et autres surnoms en ces circonstances bien cocasses.

Or, il me semble qu’hormis, et j’insiste, excepté Pius Notter, aucun non Japonais, n’a le droit ni la légitimité de se targuer de telles qualités car outre le fait que ce titre ne puisse être arboré que par les plus grands représentants de cet Art au Japon qui se seront, au préalable et à plusieurs reprises, distingués dans les plus grandes compétitions et expositions de l’archipel. Le suprême honneur étant de voir l’une de ses créations choisi par Sa Majesté l’Empereur pour rejoindre sa collection qui seule a ce pouvoir d’occulter à ce point toutes choses que les astres stellaires ne peuvent qu’effectuer une révérence tant elles se retrouvent bien fades en comparaison. La destinée de ces individus hors de commun marqués du Sceau des Dieux, en ce qu’ils ont reçu le plus précieux des Dons, celui d’émouvoir leurs semblables, ne puit être que tracée dans la durée, songez qu’il faut une vie d’Homme à ces Elus pour devenir ces Bûchers Ardents guidant leurs compagnons sur le sinueux sentier de la Perception de la Nature, songez alors à tous ces marchands qui sur le seuil de leurs Temples de la Consommation se réclament de cette qualité parce-qu’ils maîtrisent non pas un quelconque pannel technique, (qui au demeurant, laisseront toujours impuissant les Etres que nous sommes face à la Splendeur de Celle à qui nous devons tout, Celle dont nous ne sommes qu’une composante, qui, par-delà le propos de cette réflexion, puise sa vanité dans la fallacieuse idée que nous serions détachés d’Elle en poussant l’outrecuidance jusqu’à s’être persuader que nous La maîtrisions.) mais bel et bien les outils technologiques les plus avancés couplés à une rhétorique commerciale ne flattant que nos bas instincts en lieu et place que d’essayer de nous convaincre, quoique l’Emotion a vocation à être inexplicable.

Ces instincts primaires poussant, par ailleurs, et ce, de façon fort logique, le collectionneur passionné à se satisfaire de la situation, se croyant pour certains d’entre eux plus à même à délivrer "la Bonne Parole" à ses coreligionaires, car il s’agit bien d’une pratique religieuse en ce sens que l’on s’initie auprès de prétendus "disciples confirmés" n’ayant tout ou plus que quelques années d’expérience derrière eux. Ces derniers se trouvant en concurrence avec de jeunes et zélés prédicateurs ayant trouvés "la Voie" dans les allées d’une jardinerie un samedi après-midi. Tous ces individus, minoritaires, font néanmoins beaucoup de mal à notre pratique et nous sommes tous collectivement responsables en ce que nous tolérions leurs actes, par lâcheté ou plus fréquemment par paresse. En effet, comment tolérer ces interminables ballets de conteneurs en provenance de Chine dont la production ira majoritairement agoniser sur les étals des grandes surfaces et autres jardineries si elle ne le fera chez le pauvre diable ayant voulu s’offrir une part de rêve, d’exotisme? Comment tolérer que de nombreux "pratiquants" sous couverts de leurs inspirations assassinent de grands et nobles représentants de nos verdoyantes forêts? Tout ceci, sous la bienveillante protection de certaines fédérations puisque vous n’êtes pas sans savoir que contrairement à nos amis japonais, nous pratiquons des démonstrations, y compris pour le passage de certains tests, tout aussi impressionnantes pour nous qu’elles sont souvent mortelles pour les arbres. D’aucuns me diront qu’il en va ainsi depuis des siècles au Japon, or, ce n’est aucunement le cas et les Maîtres japonais n’usaient point de telles pratiques à l’origine mais ils se sont humblement, car bien qu’étant des Maîtres, ils ont su rester humbles, se considérant comme des artisans au service de la Nature avec pour seul but d’essayer d’en percevoir la Volonté, ne se pliant à ces pratiques que par sympathie par leurs hôtes occidentaux même s’ils savent qu’en acceptant l’arbre risquera de succomber, ceci servant, mieux que n’importe quelle autre, de leçon à cette minorité d’arrogants impatients.

Il est donc de bon ton d’user de son sens critique en ces temps emplis d’espoirs mais aussi de craintes pour notre Pratique, soyons responsables en amorçant une réforme de nos modes de pensées que ce soit dans notre approche du bonsaï, de la physiologie des arbres, des apports en eau et de l’étalement sur de très nombreuses années de la formation de nos arbres, il nous faut savoir travailler de concert avec ce que nous offre la Nature plutôt que de lui imprimer notre Volonté motivé bien souvent par notre Impatience, notre Arrogance et notre Ignorance. Prêtons l’oreille à la Nature et à Ceux qui la connaissent le mieux à force d’écoutes assidues, les Maîtres japonais car excepté Pius Notter, personne ne peut se targuer d’approcher leurs niveaux de compétence. Rompons avec ces mauvaises habitudes que nous avons tous contribué à diffuser en Occident et revenons à l’humilité, la sincérité et la patience que nous donnent à voir les Grands Maîtres car voilà des qualités aussi intemporelles et inaltérables que le granit composant les lanternes d’un jardin japonais.

Dans l’espoir que cette humble quoique enflammée réflexion suscitera des prises de conscience et des changement de comportement, je vous souhaite à tous une excellente fin de soirée.

                            Bien à vous, Yaggyu Jubeï.