Nettoyer la veille écorce pour favoriser les bourgeons , yes or not ?

Bonjour , de façon générale faut -il enlever la veille écorce , pour favoriser l’éclosion de nouveau bourgeons.

Un ami m’a expliqué que ainsi on a une meilleure exposition à la lumière.

Cas particulier, je viens de récupérer un if , faut -il en lever la veille ecorce pour favoriser la pousse de nouveaux bourgeons.

@+

Salut, j remet au goût du jour çe post, zeke et corto, vous avez des retours d expérience sur le bourgeonnement arrière d un arakawa?

 

« Un Virgile subjectif au point qu’il ne parle que de moi et qu’on ne voit Virgile qu’à travers mes artères et mes veines, comme on apercevrait un oiseau dans les branches d’un hêtre. »

Jean Giono, lettre du 5 mai 1947 à l’éditeur Fournier

 

Ce texte a paru pour la première fois en 1947 dans la collection « Les pages immortelles » chez Corrêa/Buchet-Chastel.

Les publications numériques des éditions Buchet/Chastel sont pourvues d’un dispositif de protection par filigrane. Ce procédé permet une lecture sur les différents supports disponibles et ne limite pas son utilisation, qui demeure strictement réservée à un usage privé. Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur, nous vous prions par conséquent de ne pas la diffuser, notamment à travers le web ou les réseaux d’échange et de partage de fichiers.

Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, de tout ou partie de cette œuvre, est strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et suivant du Code de la propriété intellectuelle.

 

ISBN : 978-2-283-02986-2

 

Une Lombarde d’Andes nommée Magdia Polla s’en allait dans la campagne avec son mari quand elle dut se cacher tout de suite au bord de la route et accoucher d’un garçon dans le fossé. La veille, elle avait eu un songe pendant la sieste, et, pressée par son temps, elle s’était vue mettre au monde une branche de laurier, qui, sortie d’elle, s’enracina et couvrit immédiatement le ciel d’un feuillage d’arbre. Le nouveau-né, qu’on essuya d’herbe, avait toutefois un visage serein et, au lieu de crier, il souriait. Ceci se passait le 15 octobre de l’an de Rome 684, soit soixante-dix ans avant Jésus-Christ, sous le consulat de Crassus et de Pompée. On n’est pas sûr que ce soit bien ce 15 octobre-là ; peut-être est-ce le 15 octobre de l’année d’avant. On ne sait pas si c’est bien dans la campagne d’Andes, à cinq kilomètres au sud-est de Mantoue, que le fait s’est produit ; c’est peut-être à quarante kilomètres au nord-ouest, à Carpenedolo ou à Calvisano. On n’est sûr que d’une chose : c’est qu’il y avait sur les lieux une colline et une maigre prairie qui descendait jusqu’au Mincio sur lequel nageaient silencieusement des cygnes de marbre. On est sûr aussi que c’était par une après-midi de brume légèrement hollandaise, et qu’à travers le brouillard les volées de soleil démesuraient l’ombre des grands bœufs aux cornes en lyre.

L’enfant fut nommé Publius. Il était le fils de Vergilius, potier, apiculteur à ses heures. La baguette de peuplier que l’on planta sur le lieu de la naissance, suivant la coutume du pays, prit rapidement une si belle carrure qu’elle atteignit la hauteur des peupliers adultes. Les femmes enceintes prirent vite l’habitude de venir adorer cet arbre. L’enfant qui avait provoqué le beau peuplier devint lui-même de haute taille. Il fut un homme très brun, un peu arabe, avec de larges yeux veloutés. Les lèvres qu’une sensibilité constante gonflait étaient épaisses et de ce violet tendre des lèvres de créoles, mais une toute petite fossette d’ironie les creusait à chaque coin. Car il était si timide qu’on l’appelait la fille, et il gardait soigneusement ses audaces en lui-même. Il avait l’allure gauche et maladroite, la démarche paysanne, le geste lourd. Il aimait l’amitié et détestait les sociétés. Il ne savait pas briller, ni se pousser, ni atteindre à travers les autres, ni accaparer, ni tirer la couverture, ni jouer le jeu habituel. Habité de dieux personnels, il brouillait naturellement les cartes, très simplement, sans s’en douter, et malhabile aux excuses, assez critique d’autre part pour savoir qu’il n’avait en réalité pas à en faire, il préférait entretenir un compromis de paysan du Danube. D’autant qu’au fond de lui-même il était vraiment ce paysan, sinon du Danube tout au moins du Mincio. Il n’avait jamais pu se débarbouiller des menthes du fossé qui avait été son premier berceau. Il n’avait jamais voulu, y trouvant meilleure odeur qu’aux drapeaux citadins les plus brodés. Il avait grandi parmi les bois et les ruisseaux ; il aimait se souvenir du peuplier votif dont il avait été le prétexte.

Il vit avec les paysans. Chaque jour, au plus doré de l’après-midi, il va marcher dans les jardins d’Armide : d’immenses vergers d’oliviers qui couvrent les collines. Il s’assoit aux talus avec les petits bergers, partage leur goûter de fromage de chèvre, sculpte des bâtons et des coupes de buis, leur propose des jeux oratoires, lutte avec eux d’histoires et de contes sur les dieux, imagine les déesses dans les ruisseaux et vit admirablement la vie dans laquelle il est habile. Il a partout des assises dans les fermes et les bastidons ; jusque dans les villas sauvages accrochées dans les rochers de la montagne et qui montrent à peine un petit crépi de mur rose entre le feuillage sombre des yeuses. Parfois, il aide les gens à ramener les troupeaux de porcs de la forêt ; ou bien il écoute la science patiente des éleveurs d’abeilles. Il s’encapuchonne dans la mousseline. Il déménage délicatement les essaims, il soigne les reines malades et va porter aux ruches d’hiver les bols d’hydromel délayé. Ici on l’aime ; il aime ; et il sait parler exactement à chacun. Il passe ses soirées dans les guinguettes de villages, au bord du Mincio, à manger des fritures avec des maquignons. Ils sont rustauds et rusés, mais leur sagesse est solidement revêtue de peau de cheval. Publius Vergilius entre dans le secret des hardes, et, s’il y a un étalon sans tache, c’est à lui en premier qu’on le présente. Combien de fois ne lui a-t-on pas donné la fête particulière de quelque cavalcade de bêtes nues dans les prés, au clair de lune ? Combien de fois n’a-t-il pas été invité à des chevauchées nocturnes vers quelque bourg dont le vin est fameux ou quelque bivouac de bûcherons où l’on savait que du sanglier marinait ? Il a toujours refusé car il est de santé délicate. Il tousse et parfois même crache du sang, il n’est ni un gros mangeur ni un fort buveur. Et il sait de science instinctive qu’avec son long visage de rêveur, son grand front, ses yeux fiévreux, ses joues maigres, ses pommettes saillantes et son air absent, il est un embarrassant convive. Il n’est pas de ceux qui jouissent ; il est de ceux qui disent comment on jouit. Il aime la proximité, le langage, la vie de ces braves gens, mais, pour son compte, il préfère à leurs joies la joie de s’enrouler dans la douceur de sa Lombardie brumeuse. Il reste de longues après-midi couché dans le thym au talus des collines. Il choisit une terrasse de pierres sèches à l’ombre soyeuse des oliviers, il écoute gémir les araires et chanter l’acier volant des bêches, la fermière qui roucoule pour appeler ses colombes, le sifflet des bergers, le piétinement des troupeaux, la cloche des béliers, le mugissement des génisses. Il ne se lasse pas de regarder cette terre couverte de couleurs comme l’éventail des paons : le blé vert, les vignes rouges, les bouleaux blancs, les yeuses noires, les oliviers gris, les amandiers roses et les grands lambeaux de terre retournée, jaune d’or, safran et pourpre, irisée de brouillards à travers lesquels se disperse le soleil cassé. Il n’épuise jamais le calme et la paix qu’il respire en compagnie des choses ordonnées une fois pour toutes jusqu’à la consommation des siècles. Il sait ce que vaut la ville. Il a étudié à Milan et à Rome. Il a confronté sa sensibilité de provincial timide et gauche à la foule bruyante et cosmopolite.

« La ville qu’on appelle Rome, dit-il, je me la figurais dans ma sottise semblable à la nôtre où nous avons l’habitude, nous les bergers, de mener souvent les petits de nos brebis. Ainsi, je savais les chiots semblables aux chiennes, les chevreaux à leur mère ; ainsi, je comparais les grandes choses aux petites. Mais cette ville au milieu des autres a haussé la tête autant que les cyprès au milieu des viornes flexibles. »

Il n’est pas paysan de dépit et sage de contrainte. Il a suivi à Rome les cours du rhéteur Épidius. Quoique peu doué pour l’éloquence, lent, sans prestance et sans coffre, il a longuement soupesé les arguments et le pour et le contre. Il n’a plaidé qu’une fois en public, mais il sait ce que parler veut dire. Il a étudié l’astronomie, la botanique, la zoologie. Et s’il en a de la ressource c’est pour pronostiquer le temps au seuil des fermes, trier des semences ou donner des soins vétérinaires. Il a jeté sa gourme congrûment, depuis le petit distique contre un maître d’école, jusqu’aux épigrammes où il dit adieu aux déclamateurs. De tout ce temps-là, il est revenu souvent au pays ; enfin, il y a fait un retour définitif. Il a besoin pour toute sa noblesse de l’ample manteau des champs. Il a trouvé ici un gouverneur de province, ami des arts, raffiné, féru de langage savant, d’images reflets et d’alexandrinisme. Lui, il a vingt-huit ans. Il écrit les Bucoliques. Il imite Théocrite, il se laisse porter par les vieux rythmes, mais le cœur des vers est à lui. Le cœur et le sang, car tout ne marche pas sur des roulettes. On est en pleine guerre civile. On est en pleine expropriation. On donne de la terre aux vétérans. Déjà, Crémone a subi cette infortune. Tant que Pollion est resté commissaire au partage des terres, Virgile, dont le domaine est du territoire de Mantoue, échappe à la contribution. Mais, après les désordres de la guerre de Pérouse, Pollion chassé de Cisalpine est remplacé par Alfénus Varus. Alors tout change. On donne un copropriétaire au domaine. C’est un soudard qui ne pense qu’à ruiner le bien et s’en faire de la ressource à bamboche. Virgile se plaint à A. Varus ; mais celui-là est aussi un traîneur de sabre, il écoute à peine ce plaideur balbutiant aux yeux vides. Il a tort : Virgile écrit la neuvième églogue. Si l’on disait à Varus que cette neuvième églogue est une arme, il rirait à s’en faire péter la sous-ventrière. Quoi ! ce radotage de vieil esclave ? ce type qui gémit sous la courbache et qui croit que les vers de son patron vont faire quelque chose à l’affaire ? Oui ! Il ne faut pas exciter les timides. On ne sait pas jusqu’où peut aller Virgile quand il s’agit de défendre ses yeuses et ses chevreaux. Avec ses yeux vides et son air de s’intéresser aux mouches, il s’en va à Rome en juillet 40 (avant Jésus-Christ). C’est la neuvième églogue qui plaide, et Octave lui rend son patrimoine. Alors, il écrit la première églogue :

« Heureux Tityre assis sous l’ombre du hêtre. » Il chante mélancoliquement sa victoire. Il dit : « Moi, tu vois, je reste avec mes arbres et mes troupeaux, et toi, mon pauvre Mélibée, tu es obligé de partir, les soldats sont en train de tout cochonner chez toi. Je n’oublierai jamais celui à qui je dois cette extraordinaire fortune. Les cerfs légers paîtraient plutôt en plein ciel. »

Il a mis toute sa terre dans ses vers. Oh, pas à la façon des journalistes, des reporters, des photographes, et de ceux qui écrivent dans la réalité, qu’ils disent. Il a mis toute sa terre, l’ayant au préalable broyée soigneusement sur son cœur et réduite en fine poudre d’or, en sève et en fumée de brume, pour qu’il puisse en composer en toute liberté une terre qui sera valable pour toute la terre. De sérieux alpinistes ont beau prétendre qu’il n’y a pas de hêtres à Mantoue et même fort loin de Mantoue et que, cependant, le menteur a écrit sub tegmine fagi. Non. Ici, il a mis les murs enfumés des fermes des collines, là les saules rouges, là les plaines lombardes, là les vieux hêtres que les alpinistes ne voient qu’à partir de 1 100 mètres d’altitude ; il les a mis à côté de son Mincio frangé de roseaux, et c’est lui qui a raison. Car on n’attendra pas la découverte de l’Amérique pour être généralement ému de ces paysages sans réalité géographique ; mais quand on aura découvert l’Amérique on en sera bouleversé jusque par là-bas au-delà du Michigan. Et l’autre qui s’obstine au nom de la raison et d’on ne sait quoi de scientifique à prétendre que les hêtres ne poussent qu’à partir de 1 100 mètres. Non mon ami ! Sub tegmine fagi où que je sois, même au fond de la fosse des Kouriles. Voilà la poésie ! Ainsi autour de cette neuvième et de cette première églogue qui sont le centre des Bucoliques, il passe trois ans à mettre des hêtres, des bergers, des chevreaux, des fromages, du lait, du miel, des eaux claires et des vents légers dans le tumulte qui déchire son pays.

Mais sa santé ne s’améliore pas. Les écharpes de brouillard sont mauvaises pour la gorge et ses poumons souffrent à respirer les vents du Tyrol qui descendent du lac de Garde. Il va à Rome, puis, très vite, rejetant la vie mondaine qui l’ennuie, il descend jusqu’à Naples et partage son temps entre la ville et sa villa près de Nole. C’est là qu’il va projeter et écrire les Géorgiques. Il a la paix et il a emporté une tête pleine du pays cisalpin. Au surplus, il se met à lire tout ce qui a été déjà écrit sur ce qu’il veut écrire. Soit qu’il passe ses après-midi sur sa terrasse, ou qu’il marche par les sentiers rocailleux, ou bien, tout au long des matinées pendant lesquelles il monte en promenant à travers l’étagement des vergers d’oliviers, il lit sans arrêt : Les Travaux et les Jours, d’Hésiode, L’Histoire des animaux, d’Aristote, L’Histoire des plantes, de Théophraste, les traités d’astronomie d’Ératosthène de Cyrène, Les Phénomènes, d’Aratus de Soles, Les Mélissurgiques et Les Géorgiques, de Nicandre et La Maison rustique, de Cicéron. Il ne cherche pas des richesses dans ces livres, il est plus que tous riche de sa sensibilité extraordinaire et de cette immense Lombardie toute repliée en lui-même depuis son foie jusqu’à sa tête, avec ses ruisseaux, ses rivières et son fleuve englués de prairies, de vergers et de labours comme un nœud de serpent embrouillé d’herbe et de terre. Il veut donner une œuvre parfaite et il se renseigne simplement sur la technique. Enfin, il se met au travail. Chaque matin il compose un grand nombre de vers. La plupart du temps il les dicte pendant qu’il marche pieds nus sur de grandes dalles vernies au centre desquelles alternent en émail de petits canards verts, des poissons jaunes, des oiseaux blancs et des boucs noirs. Il se laisse emporter par le rythme qui porte ses pieds du canard à l’oiseau, du poisson au bouc, du jaune au blanc, du noir au vert, du jaune au canard, du noir à l’oiseau, de l’un à l’autre sans arrêt et sans jamais poser le pied sur le quadrillage qui marque le joint des dalles. S’il fait beau, si le vent de la mer ne peut pas troubler le scribe, c’est sur la terrasse qu’il dicte, s’en allant pas à pas, dans son long et son large, sur une mosaïque de combats mêlés de dieux, appuyant le pied tantôt sur les plumes d’un casque, le bouclier de Mars, le hérissement d’un char, le ventre de Vénus, le charnier des vaincus où le sang est figuré par de l’argile cuite. Au rythme de son pas, ses yeux tour à tour peuvent voir les bosquets de lauriers et les buissons de roses, les cyprès qui descendent en file indienne jusqu’à la mer, et très loin, là-bas, dans les hauteurs de l’horizon, l’échine dorée des îles qui déchirent les vagues noires. Ainsi, par le pas et le regard, il se mêle au rythme du paysage et des légendes qui s’y accordent. Aussitôt après le repas de midi il renvoie le scribe et reprend le texte écrit dans un corps à corps plus serré. Il condense, résume, donne de l’éclair aux images, parfait ce qui est fait et songe plus avant. C’est le moment où, poussant la porte du jardin, il fait claquer ses sandales dans les chemins. Tout le long de ses promenades, il ne cesse de lécher son ours, comme il dit.

 
 
 
 

 

« Un Virgile subjectif au point qu’il ne parle que de moi et qu’on ne voit Virgile qu’à travers mes artères et mes veines, comme on apercevrait un oiseau dans les branches d’un hêtre. »

Jean Giono, lettre du 5 mai 1947 à l’éditeur Fournier

 

Ce texte a paru pour la première fois en 1947 dans la collection « Les pages immortelles » chez Corrêa/Buchet-Chastel.

Les publications numériques des éditions Buchet/Chastel sont pourvues d’un dispositif de protection par filigrane. Ce procédé permet une lecture sur les différents supports disponibles et ne limite pas son utilisation, qui demeure strictement réservée à un usage privé. Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur, nous vous prions par conséquent de ne pas la diffuser, notamment à travers le web ou les réseaux d’échange et de partage de fichiers.

Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, de tout ou partie de cette œuvre, est strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et suivant du Code de la propriété intellectuelle.

 

ISBN : 978-2-283-02986-2

 

Une Lombarde d’Andes nommée Magdia Polla s’en allait dans la campagne avec son mari quand elle dut se cacher tout de suite au bord de la route et accoucher d’un garçon dans le fossé. La veille, elle avait eu un songe pendant la sieste, et, pressée par son temps, elle s’était vue mettre au monde une branche de laurier, qui, sortie d’elle, s’enracina et couvrit immédiatement le ciel d’un feuillage d’arbre. Le nouveau-né, qu’on essuya d’herbe, avait toutefois un visage serein et, au lieu de crier, il souriait. Ceci se passait le 15 octobre de l’an de Rome 684, soit soixante-dix ans avant Jésus-Christ, sous le consulat de Crassus et de Pompée. On n’est pas sûr que ce soit bien ce 15 octobre-là ; peut-être est-ce le 15 octobre de l’année d’avant. On ne sait pas si c’est bien dans la campagne d’Andes, à cinq kilomètres au sud-est de Mantoue, que le fait s’est produit ; c’est peut-être à quarante kilomètres au nord-ouest, à Carpenedolo ou à Calvisano. On n’est sûr que d’une chose : c’est qu’il y avait sur les lieux une colline et une maigre prairie qui descendait jusqu’au Mincio sur lequel nageaient silencieusement des cygnes de marbre. On est sûr aussi que c’était par une après-midi de brume légèrement hollandaise, et qu’à travers le brouillard les volées de soleil démesuraient l’ombre des grands bœufs aux cornes en lyre.

L’enfant fut nommé Publius. Il était le fils de Vergilius, potier, apiculteur à ses heures. La baguette de peuplier que l’on planta sur le lieu de la naissance, suivant la coutume du pays, prit rapidement une si belle carrure qu’elle atteignit la hauteur des peupliers adultes. Les femmes enceintes prirent vite l’habitude de venir adorer cet arbre. L’enfant qui avait provoqué le beau peuplier devint lui-même de haute taille. Il fut un homme très brun, un peu arabe, avec de larges yeux veloutés. Les lèvres qu’une sensibilité constante gonflait étaient épaisses et de ce violet tendre des lèvres de créoles, mais une toute petite fossette d’ironie les creusait à chaque coin. Car il était si timide qu’on l’appelait la fille, et il gardait soigneusement ses audaces en lui-même. Il avait l’allure gauche et maladroite, la démarche paysanne, le geste lourd. Il aimait l’amitié et détestait les sociétés. Il ne savait pas briller, ni se pousser, ni atteindre à travers les autres, ni accaparer, ni tirer la couverture, ni jouer le jeu habituel. Habité de dieux personnels, il brouillait naturellement les cartes, très simplement, sans s’en douter, et malhabile aux excuses, assez critique d’autre part pour savoir qu’il n’avait en réalité pas à en faire, il préférait entretenir un compromis de paysan du Danube. D’autant qu’au fond de lui-même il était vraiment ce paysan, sinon du Danube tout au moins du Mincio. Il n’avait jamais pu se débarbouiller des menthes du fossé qui avait été son premier berceau. Il n’avait jamais voulu, y trouvant meilleure odeur qu’aux drapeaux citadins les plus brodés. Il avait grandi parmi les bois et les ruisseaux ; il aimait se souvenir du peuplier votif dont il avait été le prétexte.

Il vit avec les paysans. Chaque jour, au plus doré de l’après-midi, il va marcher dans les jardins d’Armide : d’immenses vergers d’oliviers qui couvrent les collines. Il s’assoit aux talus avec les petits bergers, partage leur goûter de fromage de chèvre, sculpte des bâtons et des coupes de buis, leur propose des jeux oratoires, lutte avec eux d’histoires et de contes sur les dieux, imagine les déesses dans les ruisseaux et vit admirablement la vie dans laquelle il est habile. Il a partout des assises dans les fermes et les bastidons ; jusque dans les villas sauvages accrochées dans les rochers de la montagne et qui montrent à peine un petit crépi de mur rose entre le feuillage sombre des yeuses. Parfois, il aide les gens à ramener les troupeaux de porcs de la forêt ; ou bien il écoute la science patiente des éleveurs d’abeilles. Il s’encapuchonne dans la mousseline. Il déménage délicatement les essaims, il soigne les reines malades et va porter aux ruches d’hiver les bols d’hydromel délayé. Ici on l’aime ; il aime ; et il sait parler exactement à chacun. Il passe ses soirées dans les guinguettes de villages, au bord du Mincio, à manger des fritures avec des maquignons. Ils sont rustauds et rusés, mais leur sagesse est solidement revêtue de peau de cheval. Publius Vergilius entre dans le secret des hardes, et, s’il y a un étalon sans tache, c’est à lui en premier qu’on le présente. Combien de fois ne lui a-t-on pas donné la fête particulière de quelque cavalcade de bêtes nues dans les prés, au clair de lune ? Combien de fois n’a-t-il pas été invité à des chevauchées nocturnes vers quelque bourg dont le vin est fameux ou quelque bivouac de bûcherons où l’on savait que du sanglier marinait ? Il a toujours refusé car il est de santé délicate. Il tousse et parfois même crache du sang, il n’est ni un gros mangeur ni un fort buveur. Et il sait de science instinctive qu’avec son long visage de rêveur, son grand front, ses yeux fiévreux, ses joues maigres, ses pommettes saillantes et son air absent, il est un embarrassant convive. Il n’est pas de ceux qui jouissent ; il est de ceux qui disent comment on jouit. Il aime la proximité, le langage, la vie de ces braves gens, mais, pour son compte, il préfère à leurs joies la joie de s’enrouler dans la douceur de sa Lombardie brumeuse. Il reste de longues après-midi couché dans le thym au talus des collines. Il choisit une terrasse de pierres sèches à l’ombre soyeuse des oliviers, il écoute gémir les araires et chanter l’acier volant des bêches, la fermière qui roucoule pour appeler ses colombes, le sifflet des bergers, le piétinement des troupeaux, la cloche des béliers, le mugissement des génisses. Il ne se lasse pas de regarder cette terre couverte de couleurs comme l’éventail des paons : le blé vert, les vignes rouges, les bouleaux blancs, les yeuses noires, les oliviers gris, les amandiers roses et les grands lambeaux de terre retournée, jaune d’or, safran et pourpre, irisée de brouillards à travers lesquels se disperse le soleil cassé. Il n’épuise jamais le calme et la paix qu’il respire en compagnie des choses ordonnées une fois pour toutes jusqu’à la consommation des siècles. Il sait ce que vaut la ville. Il a étudié à Milan et à Rome. Il a confronté sa sensibilité de provincial timide et gauche à la foule bruyante et cosmopolite.

« La ville qu’on appelle Rome, dit-il, je me la figurais dans ma sottise semblable à la nôtre où nous avons l’habitude, nous les bergers, de mener souvent les petits de nos brebis. Ainsi, je savais les chiots semblables aux chiennes, les chevreaux à leur mère ; ainsi, je comparais les grandes choses aux petites. Mais cette ville au milieu des autres a haussé la tête autant que les cyprès au milieu des viornes flexibles. »

Il n’est pas paysan de dépit et sage de contrainte. Il a suivi à Rome les cours du rhéteur Épidius. Quoique peu doué pour l’éloquence, lent, sans prestance et sans coffre, il a longuement soupesé les arguments et le pour et le contre. Il n’a plaidé qu’une fois en public, mais il sait ce que parler veut dire. Il a étudié l’astronomie, la botanique, la zoologie. Et s’il en a de la ressource c’est pour pronostiquer le temps au seuil des fermes, trier des semences ou donner des soins vétérinaires. Il a jeté sa gourme congrûment, depuis le petit distique contre un maître d’école, jusqu’aux épigrammes où il dit adieu aux déclamateurs. De tout ce temps-là, il est revenu souvent au pays ; enfin, il y a fait un retour définitif. Il a besoin pour toute sa noblesse de l’ample manteau des champs. Il a trouvé ici un gouverneur de province, ami des arts, raffiné, féru de langage savant, d’images reflets et d’alexandrinisme. Lui, il a vingt-huit ans. Il écrit les Bucoliques. Il imite Théocrite, il se laisse porter par les vieux rythmes, mais le cœur des vers est à lui. Le cœur et le sang, car tout ne marche pas sur des roulettes. On est en pleine guerre civile. On est en pleine expropriation. On donne de la terre aux vétérans. Déjà, Crémone a subi cette infortune. Tant que Pollion est resté commissaire au partage des terres, Virgile, dont le domaine est du territoire de Mantoue, échappe à la contribution. Mais, après les désordres de la guerre de Pérouse, Pollion chassé de Cisalpine est remplacé par Alfénus Varus. Alors tout change. On donne un copropriétaire au domaine. C’est un soudard qui ne pense qu’à ruiner le bien et s’en faire de la ressource à bamboche. Virgile se plaint à A. Varus ; mais celui-là est aussi un traîneur de sabre, il écoute à peine ce plaideur balbutiant aux yeux vides. Il a tort : Virgile écrit la neuvième églogue. Si l’on disait à Varus que cette neuvième églogue est une arme, il rirait à s’en faire péter la sous-ventrière. Quoi ! ce radotage de vieil esclave ? ce type qui gémit sous la courbache et qui croit que les vers de son patron vont faire quelque chose à l’affaire ? Oui ! Il ne faut pas exciter les timides. On ne sait pas jusqu’où peut aller Virgile quand il s’agit de défendre ses yeuses et ses chevreaux. Avec ses yeux vides et son air de s’intéresser aux mouches, il s’en va à Rome en juillet 40 (avant Jésus-Christ). C’est la neuvième églogue qui plaide, et Octave lui rend son patrimoine. Alors, il écrit la première églogue :

« Heureux Tityre assis sous l’ombre du hêtre. » Il chante mélancoliquement sa victoire. Il dit : « Moi, tu vois, je reste avec mes arbres et mes troupeaux, et toi, mon pauvre Mélibée, tu es obligé de partir, les soldats sont en train de tout cochonner chez toi. Je n’oublierai jamais celui à qui je dois cette extraordinaire fortune. Les cerfs légers paîtraient plutôt en plein ciel. »

Il a mis toute sa terre dans ses vers. Oh, pas à la façon des journalistes, des reporters, des photographes, et de ceux qui écrivent dans la réalité, qu’ils disent. Il a mis toute sa terre, l’ayant au préalable broyée soigneusement sur son cœur et réduite en fine poudre d’or, en sève et en fumée de brume, pour qu’il puisse en composer en toute liberté une terre qui sera valable pour toute la terre. De sérieux alpinistes ont beau prétendre qu’il n’y a pas de hêtres à Mantoue et même fort loin de Mantoue et que, cependant, le menteur a écrit sub tegmine fagi. Non. Ici, il a mis les murs enfumés des fermes des collines, là les saules rouges, là les plaines lombardes, là les vieux hêtres que les alpinistes ne voient qu’à partir de 1 100 mètres d’altitude ; il les a mis à côté de son Mincio frangé de roseaux, et c’est lui qui a raison. Car on n’attendra pas la découverte de l’Amérique pour être généralement ému de ces paysages sans réalité géographique ; mais quand on aura découvert l’Amérique on en sera bouleversé jusque par là-bas au-delà du Michigan. Et l’autre qui s’obstine au nom de la raison et d’on ne sait quoi de scientifique à prétendre que les hêtres ne poussent qu’à partir de 1 100 mètres. Non mon ami ! Sub tegmine fagi où que je sois, même au fond de la fosse des Kouriles. Voilà la poésie ! Ainsi autour de cette neuvième et de cette première églogue qui sont le centre des Bucoliques, il passe trois ans à mettre des hêtres, des bergers, des chevreaux, des fromages, du lait, du miel, des eaux claires et des vents légers dans le tumulte qui déchire son pays.

Mais sa santé ne s’améliore pas. Les écharpes de brouillard sont mauvaises pour la gorge et ses poumons souffrent à respirer les vents du Tyrol qui descendent du lac de Garde. Il va à Rome, puis, très vite, rejetant la vie mondaine qui l’ennuie, il descend jusqu’à Naples et partage son temps entre la ville et sa villa près de Nole. C’est là qu’il va projeter et écrire les Géorgiques. Il a la paix et il a emporté une tête pleine du pays cisalpin. Au surplus, il se met à lire tout ce qui a été déjà écrit sur ce qu’il veut écrire. Soit qu’il passe ses après-midi sur sa terrasse, ou qu’il marche par les sentiers rocailleux, ou bien, tout au long des matinées pendant lesquelles il monte en promenant à travers l’étagement des vergers d’oliviers, il lit sans arrêt : Les Travaux et les Jours, d’Hésiode, L’Histoire des animaux, d’Aristote, L’Histoire des plantes, de Théophraste, les traités d’astronomie d’Ératosthène de Cyrène, Les Phénomènes, d’Aratus de Soles, Les Mélissurgiques et Les Géorgiques, de Nicandre et La Maison rustique, de Cicéron. Il ne cherche pas des richesses dans ces livres, il est plus que tous riche de sa sensibilité extraordinaire et de cette immense Lombardie toute repliée en lui-même depuis son foie jusqu’à sa tête, avec ses ruisseaux, ses rivières et son fleuve englués de prairies, de vergers et de labours comme un nœud de serpent embrouillé d’herbe et de terre. Il veut donner une œuvre parfaite et il se renseigne simplement sur la technique. Enfin, il se met au travail. Chaque matin il compose un grand nombre de vers. La plupart du temps il les dicte pendant qu’il marche pieds nus sur de grandes dalles vernies au centre desquelles alternent en émail de petits canards verts, des poissons jaunes, des oiseaux blancs et des boucs noirs. Il se laisse emporter par le rythme qui porte ses pieds du canard à l’oiseau, du poisson au bouc, du jaune au blanc, du noir au vert, du jaune au canard, du noir à l’oiseau, de l’un à l’autre sans arrêt et sans jamais poser le pied sur le quadrillage qui marque le joint des dalles. S’il fait beau, si le vent de la mer ne peut pas troubler le scribe, c’est sur la terrasse qu’il dicte, s’en allant pas à pas, dans son long et son large, sur une mosaïque de combats mêlés de dieux, appuyant le pied tantôt sur les plumes d’un casque, le bouclier de Mars, le hérissement d’un char, le ventre de Vénus, le charnier des vaincus où le sang est figuré par de l’argile cuite. Au rythme de son pas, ses yeux tour à tour peuvent voir les bosquets de lauriers et les buissons de roses, les cyprès qui descendent en file indienne jusqu’à la mer, et très loin, là-bas, dans les hauteurs de l’horizon, l’échine dorée des îles qui déchirent les vagues noires. Ainsi, par le pas et le regard, il se mêle au rythme du paysage et des légendes qui s’y accordent. Aussitôt après le repas de midi il renvoie le scribe et reprend le texte écrit dans un corps à corps plus serré. Il condense, résume, donne de l’éclair aux images, parfait ce qui est fait et songe plus avant. C’est le moment où, poussant la porte du jardin, il fait claquer ses sandales dans les chemins. Tout le long de ses promenades, il ne cesse de lécher son ours, comme il dit.

 
 
 
 

 

« Un Virgile subjectif au point qu’il ne parle que de moi et qu’on ne voit Virgile qu’à travers mes artères et mes veines, comme on apercevrait un oiseau dans les branches d’un hêtre. »

Jean Giono, lettre du 5 mai 1947 à l’éditeur Fournier

 

Ce texte a paru pour la première fois en 1947 dans la collection « Les pages immortelles » chez Corrêa/Buchet-Chastel.

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ISBN : 978-2-283-02986-2

 

Une Lombarde d’Andes nommée Magdia Polla s’en allait dans la campagne avec son mari quand elle dut se cacher tout de suite au bord de la route et accoucher d’un garçon dans le fossé. La veille, elle avait eu un songe pendant la sieste, et, pressée par son temps, elle s’était vue mettre au monde une branche de laurier, qui, sortie d’elle, s’enracina et couvrit immédiatement le ciel d’un feuillage d’arbre. Le nouveau-né, qu’on essuya d’herbe, avait toutefois un visage serein et, au lieu de crier, il souriait. Ceci se passait le 15 octobre de l’an de Rome 684, soit soixante-dix ans avant Jésus-Christ, sous le consulat de Crassus et de Pompée. On n’est pas sûr que ce soit bien ce 15 octobre-là ; peut-être est-ce le 15 octobre de l’année d’avant. On ne sait pas si c’est bien dans la campagne d’Andes, à cinq kilomètres au sud-est de Mantoue, que le fait s’est produit ; c’est peut-être à quarante kilomètres au nord-ouest, à Carpenedolo ou à Calvisano. On n’est sûr que d’une chose : c’est qu’il y avait sur les lieux une colline et une maigre prairie qui descendait jusqu’au Mincio sur lequel nageaient silencieusement des cygnes de marbre. On est sûr aussi que c’était par une après-midi de brume légèrement hollandaise, et qu’à travers le brouillard les volées de soleil démesuraient l’ombre des grands bœufs aux cornes en lyre.

L’enfant fut nommé Publius. Il était le fils de Vergilius, potier, apiculteur à ses heures. La baguette de peuplier que l’on planta sur le lieu de la naissance, suivant la coutume du pays, prit rapidement une si belle carrure qu’elle atteignit la hauteur des peupliers adultes. Les femmes enceintes prirent vite l’habitude de venir adorer cet arbre. L’enfant qui avait provoqué le beau peuplier devint lui-même de haute taille. Il fut un homme très brun, un peu arabe, avec de larges yeux veloutés. Les lèvres qu’une sensibilité constante gonflait étaient épaisses et de ce violet tendre des lèvres de créoles, mais une toute petite fossette d’ironie les creusait à chaque coin. Car il était si timide qu’on l’appelait la fille, et il gardait soigneusement ses audaces en lui-même. Il avait l’allure gauche et maladroite, la démarche paysanne, le geste lourd. Il aimait l’amitié et détestait les sociétés. Il ne savait pas briller, ni se pousser, ni atteindre à travers les autres, ni accaparer, ni tirer la couverture, ni jouer le jeu habituel. Habité de dieux personnels, il brouillait naturellement les cartes, très simplement, sans s’en douter, et malhabile aux excuses, assez critique d’autre part pour savoir qu’il n’avait en réalité pas à en faire, il préférait entretenir un compromis de paysan du Danube. D’autant qu’au fond de lui-même il était vraiment ce paysan, sinon du Danube tout au moins du Mincio. Il n’avait jamais pu se débarbouiller des menthes du fossé qui avait été son premier berceau. Il n’avait jamais voulu, y trouvant meilleure odeur qu’aux drapeaux citadins les plus brodés. Il avait grandi parmi les bois et les ruisseaux ; il aimait se souvenir du peuplier votif dont il avait été le prétexte.

Il vit avec les paysans. Chaque jour, au plus doré de l’après-midi, il va marcher dans les jardins d’Armide : d’immenses vergers d’oliviers qui couvrent les collines. Il s’assoit aux talus avec les petits bergers, partage leur goûter de fromage de chèvre, sculpte des bâtons et des coupes de buis, leur propose des jeux oratoires, lutte avec eux d’histoires et de contes sur les dieux, imagine les déesses dans les ruisseaux et vit admirablement la vie dans laquelle il est habile. Il a partout des assises dans les fermes et les bastidons ; jusque dans les villas sauvages accrochées dans les rochers de la montagne et qui montrent à peine un petit crépi de mur rose entre le feuillage sombre des yeuses. Parfois, il aide les gens à ramener les troupeaux de porcs de la forêt ; ou bien il écoute la science patiente des éleveurs d’abeilles. Il s’encapuchonne dans la mousseline. Il déménage délicatement les essaims, il soigne les reines malades et va porter aux ruches d’hiver les bols d’hydromel délayé. Ici on l’aime ; il aime ; et il sait parler exactement à chacun. Il passe ses soirées dans les guinguettes de villages, au bord du Mincio, à manger des fritures avec des maquignons. Ils sont rustauds et rusés, mais leur sagesse est solidement revêtue de peau de cheval. Publius Vergilius entre dans le secret des hardes, et, s’il y a un étalon sans tache, c’est à lui en premier qu’on le présente. Combien de fois ne lui a-t-on pas donné la fête particulière de quelque cavalcade de bêtes nues dans les prés, au clair de lune ? Combien de fois n’a-t-il pas été invité à des chevauchées nocturnes vers quelque bourg dont le vin est fameux ou quelque bivouac de bûcherons où l’on savait que du sanglier marinait ? Il a toujours refusé car il est de santé délicate. Il tousse et parfois même crache du sang, il n’est ni un gros mangeur ni un fort buveur. Et il sait de science instinctive qu’avec son long visage de rêveur, son grand front, ses yeux fiévreux, ses joues maigres, ses pommettes saillantes et son air absent, il est un embarrassant convive. Il n’est pas de ceux qui jouissent ; il est de ceux qui disent comment on jouit. Il aime la proximité, le langage, la vie de ces braves gens, mais, pour son compte, il préfère à leurs joies la joie de s’enrouler dans la douceur de sa Lombardie brumeuse. Il reste de longues après-midi couché dans le thym au talus des collines. Il choisit une terrasse de pierres sèches à l’ombre soyeuse des oliviers, il écoute gémir les araires et chanter l’acier volant des bêches, la fermière qui roucoule pour appeler ses colombes, le sifflet des bergers, le piétinement des troupeaux, la cloche des béliers, le mugissement des génisses. Il ne se lasse pas de regarder cette terre couverte de couleurs comme l’éventail des paons : le blé vert, les vignes rouges, les bouleaux blancs, les yeuses noires, les oliviers gris, les amandiers roses et les grands lambeaux de terre retournée, jaune d’or, safran et pourpre, irisée de brouillards à travers lesquels se disperse le soleil cassé. Il n’épuise jamais le calme et la paix qu’il respire en compagnie des choses ordonnées une fois pour toutes jusqu’à la consommation des siècles. Il sait ce que vaut la ville. Il a étudié à Milan et à Rome. Il a confronté sa sensibilité de provincial timide et gauche à la foule bruyante et cosmopolite.

« La ville qu’on appelle Rome, dit-il, je me la figurais dans ma sottise semblable à la nôtre où nous avons l’habitude, nous les bergers, de mener souvent les petits de nos brebis. Ainsi, je savais les chiots semblables aux chiennes, les chevreaux à leur mère ; ainsi, je comparais les grandes choses aux petites. Mais cette ville au milieu des autres a haussé la tête autant que les cyprès au milieu des viornes flexibles. »

Il n’est pas paysan de dépit et sage de contrainte. Il a suivi à Rome les cours du rhéteur Épidius. Quoique peu doué pour l’éloquence, lent, sans prestance et sans coffre, il a longuement soupesé les arguments et le pour et le contre. Il n’a plaidé qu’une fois en public, mais il sait ce que parler veut dire. Il a étudié l’astronomie, la botanique, la zoologie. Et s’il en a de la ressource c’est pour pronostiquer le temps au seuil des fermes, trier des semences ou donner des soins vétérinaires. Il a jeté sa gourme congrûment, depuis le petit distique contre un maître d’école, jusqu’aux épigrammes où il dit adieu aux déclamateurs. De tout ce temps-là, il est revenu souvent au pays ; enfin, il y a fait un retour définitif. Il a besoin pour toute sa noblesse de l’ample manteau des champs. Il a trouvé ici un gouverneur de province, ami des arts, raffiné, féru de langage savant, d’images reflets et d’alexandrinisme. Lui, il a vingt-huit ans. Il écrit les Bucoliques. Il imite Théocrite, il se laisse porter par les vieux rythmes, mais le cœur des vers est à lui. Le cœur et le sang, car tout ne marche pas sur des roulettes. On est en pleine guerre civile. On est en pleine expropriation. On donne de la terre aux vétérans. Déjà, Crémone a subi cette infortune. Tant que Pollion est resté commissaire au partage des terres, Virgile, dont le domaine est du territoire de Mantoue, échappe à la contribution. Mais, après les désordres de la guerre de Pérouse, Pollion chassé de Cisalpine est remplacé par Alfénus Varus. Alors tout change. On donne un copropriétaire au domaine. C’est un soudard qui ne pense qu’à ruiner le bien et s’en faire de la ressource à bamboche. Virgile se plaint à A. Varus ; mais celui-là est aussi un traîneur de sabre, il écoute à peine ce plaideur balbutiant aux yeux vides. Il a tort : Virgile écrit la neuvième églogue. Si l’on disait à Varus que cette neuvième églogue est une arme, il rirait à s’en faire péter la sous-ventrière. Quoi ! ce radotage de vieil esclave ? ce type qui gémit sous la courbache et qui croit que les vers de son patron vont faire quelque chose à l’affaire ? Oui ! Il ne faut pas exciter les timides. On ne sait pas jusqu’où peut aller Virgile quand il s’agit de défendre ses yeuses et ses chevreaux. Avec ses yeux vides et son air de s’intéresser aux mouches, il s’en va à Rome en juillet 40 (avant Jésus-Christ). C’est la neuvième églogue qui plaide, et Octave lui rend son patrimoine. Alors, il écrit la première églogue :

« Heureux Tityre assis sous l’ombre du hêtre. » Il chante mélancoliquement sa victoire. Il dit : « Moi, tu vois, je reste avec mes arbres et mes troupeaux, et toi, mon pauvre Mélibée, tu es obligé de partir, les soldats sont en train de tout cochonner chez toi. Je n’oublierai jamais celui à qui je dois cette extraordinaire fortune. Les cerfs légers paîtraient plutôt en plein ciel. »

Il a mis toute sa terre dans ses vers. Oh, pas à la façon des journalistes, des reporters, des photographes, et de ceux qui écrivent dans la réalité, qu’ils disent. Il a mis toute sa terre, l’ayant au préalable broyée soigneusement sur son cœur et réduite en fine poudre d’or, en sève et en fumée de brume, pour qu’il puisse en composer en toute liberté une terre qui sera valable pour toute la terre. De sérieux alpinistes ont beau prétendre qu’il n’y a pas de hêtres à Mantoue et même fort loin de Mantoue et que, cependant, le menteur a écrit sub tegmine fagi. Non. Ici, il a mis les murs enfumés des fermes des collines, là les saules rouges, là les plaines lombardes, là les vieux hêtres que les alpinistes ne voient qu’à partir de 1 100 mètres d’altitude ; il les a mis à côté de son Mincio frangé de roseaux, et c’est lui qui a raison. Car on n’attendra pas la découverte de l’Amérique pour être généralement ému de ces paysages sans réalité géographique ; mais quand on aura découvert l’Amérique on en sera bouleversé jusque par là-bas au-delà du Michigan. Et l’autre qui s’obstine au nom de la raison et d’on ne sait quoi de scientifique à prétendre que les hêtres ne poussent qu’à partir de 1 100 mètres. Non mon ami ! Sub tegmine fagi où que je sois, même au fond de la fosse des Kouriles. Voilà la poésie ! Ainsi autour de cette neuvième et de cette première églogue qui sont le centre des Bucoliques, il passe trois ans à mettre des hêtres, des bergers, des chevreaux, des fromages, du lait, du miel, des eaux claires et des vents légers dans le tumulte qui déchire son pays.

Mais sa santé ne s’améliore pas. Les écharpes de brouillard sont mauvaises pour la gorge et ses poumons souffrent à respirer les vents du Tyrol qui descendent du lac de Garde. Il va à Rome, puis, très vite, rejetant la vie mondaine qui l’ennuie, il descend jusqu’à Naples et partage son temps entre la ville et sa villa près de Nole. C’est là qu’il va projeter et écrire les Géorgiques. Il a la paix et il a emporté une tête pleine du pays cisalpin. Au surplus, il se met à lire tout ce qui a été déjà écrit sur ce qu’il veut écrire. Soit qu’il passe ses après-midi sur sa terrasse, ou qu’il marche par les sentiers rocailleux, ou bien, tout au long des matinées pendant lesquelles il monte en promenant à travers l’étagement des vergers d’oliviers, il lit sans arrêt : Les Travaux et les Jours, d’Hésiode, L’Histoire des animaux, d’Aristote, L’Histoire des plantes, de Théophraste, les traités d’astronomie d’Ératosthène de Cyrène, Les Phénomènes, d’Aratus de Soles, Les Mélissurgiques et Les Géorgiques, de Nicandre et La Maison rustique, de Cicéron. Il ne cherche pas des richesses dans ces livres, il est plus que tous riche de sa sensibilité extraordinaire et de cette immense Lombardie toute repliée en lui-même depuis son foie jusqu’à sa tête, avec ses ruisseaux, ses rivières et son fleuve englués de prairies, de vergers et de labours comme un nœud de serpent embrouillé d’herbe et de terre. Il veut donner une œuvre parfaite et il se renseigne simplement sur la technique. Enfin, il se met au travail. Chaque matin il compose un grand nombre de vers. La plupart du temps il les dicte pendant qu’il marche pieds nus sur de grandes dalles vernies au centre desquelles alternent en émail de petits canards verts, des poissons jaunes, des oiseaux blancs et des boucs noirs. Il se laisse emporter par le rythme qui porte ses pieds du canard à l’oiseau, du poisson au bouc, du jaune au blanc, du noir au vert, du jaune au canard, du noir à l’oiseau, de l’un à l’autre sans arrêt et sans jamais poser le pied sur le quadrillage qui marque le joint des dalles. S’il fait beau, si le vent de la mer ne peut pas troubler le scribe, c’est sur la terrasse qu’il dicte, s’en allant pas à pas, dans son long et son large, sur une mosaïque de combats mêlés de dieux, appuyant le pied tantôt sur les plumes d’un casque, le bouclier de Mars, le hérissement d’un char, le ventre de Vénus, le charnier des vaincus où le sang est figuré par de l’argile cuite. Au rythme de son pas, ses yeux tour à tour peuvent voir les bosquets de lauriers et les buissons de roses, les cyprès qui descendent en file indienne jusqu’à la mer, et très loin, là-bas, dans les hauteurs de l’horizon, l’échine dorée des îles qui déchirent les vagues noires. Ainsi, par le pas et le regard, il se mêle au rythme du paysage et des légendes qui s’y accordent. Aussitôt après le repas de midi il renvoie le scribe et reprend le texte écrit dans un corps à corps plus serré. Il condense, résume, donne de l’éclair aux images, parfait ce qui est fait et songe plus avant. C’est le moment où, poussant la porte du jardin, il fait claquer ses sandales dans les chemins. Tout le long de ses promenades, il ne cesse de lécher son ours, comme il dit.

 
 
 
 
 

 

Morvandiau tu nous fait quoi la??

J'ai demandé gentiment la suppression de mon compte. Pas de réponse.

C'est peut-être une façon de demander qu'ils comprennent mieux...

Mais c'est de la belle littérature. Giono, je recommande.

Arakawa, j'en ai un depuis trois ans.aucun bourgeonnement arrière.Pour lui je raisonne plûtot en terme de greffes.

J'envisage d'en faire à l'avenir.@+

Concernant l'Arakawa, en tous cas les miens, l'écorce ancienne ne se décolle pas aussi facilement que cela ("desquamation"). E puis sur un érable arakawa l'intérêt c'est justement l'écorce.

 

Après concernant d'autres variétés, il y a plusieurs écoles. Certains japonais retirent systématiquement  la vielle écorce des pins ( surtout par exemple pour respecter parfaitement les règles de la forme lettré).

Et pour les ifs personnellement je la retire pour obtenir une écorce jeune lisse et uniformément colorée.

 

Mais , en réalité, le fait d'enlever la vieille écorce, à plus un intérêt sanitaire à l'automne où à l'entrée de l'hiver, qu' un 'intérêt vis à vis du bourgeonnement. En effet, sous l'écorce, diverses larves passent les périodes froides "au chaud". Donc en la retirant à l'automne ou en hiver on limite la profération de nuisibles au printemps.