La Touraine

« [i]J’aime la Touraine parce qu’elle est terre de milieu. Le sillon de Loire stimule un havre de consensus. Les extrêmes n’y existent pas. Ni dans le climat, ni dans la géographie ni dans les gens ni dans l’histoire. La Touraine serait une terre passe-partout puisque rien ne la distingue. Voilà justement ce qui émaille son attraction. L’amplitude y est plus faible qu’ailleurs et les hommes y sont peu soumis aux variations.

La Touraine est une terre d’espace, sans être un plat pays rayé d’un trait rectiligne d’horizon ; la Loire y coule large et lente, maquillant de sa paresse – qui semble benoîtement langueur – la lâcheté de ses bancs de sable. La Touraine est terre de couleurs. Le chatoiement suffit à créer la diversité, qui, ailleurs, nécessite le contraste des tons éclatants.

Ma Touraine est terre de végétaux, depuis les primeurs, jusqu’aux fleurs, à la vigne et aux fruitiers. Elle est terre de cultures patriciennes, artisanales, mitoyenne de la gâtine aride et stérile. Elle subjugue l’aristocratie du garde-manger français, la provende de la variété culinaire française. La Touraine est terre de vins gouleyants. Sans la renommée des bourgognes ou des bordeaux, ils inscrivent légèreté et discrétion dans l’anonymat du pays. La Touraine est subtilement rabelaisienne, moins que les héros de l’auteur, elle l’est toutefois.

La Touraine est terre de caves et d’habitations troglodytiques. Les coteaux de tuffeau sont percés de ces galeries, souvent indécelables aux étrangers, tant leurs accès s’abritent dans le fondu du paysage.

La Touraine est terre de clémence. Elle ne fut que peu soumise aux guerres et aux envahisseurs. L’histoire n’a guère laissé de traces que celles du pouvoir exercé par les rois. Ni occupation ni querelle de religion. Pas de Sarrasins, pas de guerre de Cent ans, de guerre civile déiste, de guerre mondiale. Ou si peu. Et quand la monarchie glissa vers l’absolu, elle se cantonna aux Tuileries puis émigra à Versailles… La Touraine n’est pas terre de despotisme.

La Touraine est terre de lumière. Où mieux qu’alentour – qu’allant Tours ? – pouvait s’exprimer le raffinement de l’exubérance florentine ? La Touraine est terre de naissance et de renaissance. Vinci vint ici pour y sceller son universalité et n’en repartir. Quelque part, immatériel, un pont de lumière est jeté entre Touraine et Toscane. Cet arc-en-ciel est le fleuron des chefs-d’œuvre de l’artiste.

Mais, plus que tout, la Touraine est terre de paix sans rameau d’olivier, où les bruits ne sont que bruissements et les paroles murmures. Point n’est besoin d’effort pour y puiser sérénité et plénitude pourvu que ses hôtes s’abandonnent à son aura secrète.

Pour vivre heureux, le poète conçoit qu’il faille vivre caché : la Touraine est cachette.[/i] »