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Wabi Sabi : quelques notions

"Epuré dans sa moindre essence, wabi-sabi est l’art japonais de trouver la beauté dans l’imperfection et la profondeur de la nature, d’accepter le cycle naturel de croissance, de décrépitude, et de mort."
Tadao Ando, architecte né en 1941 à Osaka

Pour un Européen, comprendre les notions de Wabi et Sabi serait presque faire fi de toute la culture hellénistique et des philosophies judéo-chrétiennes, qui ont fondé le système de pensée occidental depuis plus de deux mille ans. Admettre que le monde est régi par un ensemble de lois définies et doit être compris au travers d’explications rationnelles et scientifiquement logiques, est à l’antithèse du système de pensée oriental.

La vision du monde d’un point de vue japonais est axée sur la nature, dans une communion de beauté et de simplicité, en harmonie avec celle-ci. Dans le panthéon nippon, cette nature va de soi avec l’acceptation de son essence imparfaite et incomplète, en tant que valeurs spirituelles issues de la philosophie zen. L’homme et la nature sont imparfaits, la voie du zen permet à l’homme de l’accepter intuitivement et de se transcender par l’oubli de soi, grâce à une vie simple et détachée des biens matériels.

Pour tenter de comprendre l’esthétique japonaise, sous tendue par les notions de wabi et sabi, il convient de se replacer dans un contexte historique et philosophique.

L’art de vie japonais reflète un bouddhisme spécifique, qui prend sa source auprès de l’éveil du Bouddha Shâkyamuni en Inde. De son enseignement en Chine, naquit le zen inscrit dans le courant dit du Grand Véhicule, vers les VIème et VIIème siècles après J.C. Introduit au pays du Soleil Levant par Dôgen (1200-1253), le zen y devint au cours des siècles le principal des courants bouddhistes, selon les préceptes des écoles Mahayana.

La Voie du Thé

Les concepts de wabi et sabi peuvent être rattachés à la Voie du Thé, que Sen no Rikyu développa au XVIème siècle (époque Momoyama) dans son ultime aboutissement philosophique et esthétique. La cérémonie du thé, sous le nom de chanoyu, chado ou encore sado devint un rituel profondément enraciné dans les philosophies taoïstes et zen, codifié selon des principes d’harmonie, de respect, de pureté et de tranquillité. Il s’agit d’un art, d’une expression artistique au travers du geste accompagnant la cérémonie, des ustensiles utilisés, ceux-ci variant au fil des saisons. La Voie du Thé s’inscrit dans un ensemble esthétique complet et spécifique : De l’architecture de la maison de thé, du jardin qui l’entoure jusqu’au mobilier dépouillé et réduit à sa plus simple expression. Tout est conçu pour libérer et purifier l’esprit, dans une austérité volontaire préparant à la méditation, au-delà de toute construction intellectuelle.

Interprétation

Le wabi et le sabi sont distincts et à la fois complémentaires car se référant tous deux à la nature et son observation. Wabi signifie littéralement pauvreté mais recouvre en même temps les notions d’irrégularité, de dépouillement, d’imperfection et de simplicité de la matière. Sabi renvoie à la recherche de la beauté dans l’expérience de la solitude, jusqu’à la mélancolie, dans l’imperfection née des blessures du temps, dans le caractère éphémère qui affecte toute chose et toute vie. Ces deux concepts ensemble, réclament une disposition d’esprit empreinte de la même appréciation esthétique et philosophique où modestie, humilité, absence de prétention et détachement au monde, sont les attitudes requises dans la voie du zen.

D’autres caractérisations complémentaires applicables aux objets et aux choses :
- Fukinsei : asymétrie, irrégularité
- Kanso : simplicité
- Koko : altérité
- Shizen : sans prétention, naturelle
- Datsuzoku : libre, sans convention, sans limite
- Seijaku : tranquillité

Ainsi le bol à thé sera simple, par exemple cuit au four Raku, sans fioriture ni ornement, sobre mais fonctionnel. La beauté de l’objet résidera dans ses proportions harmonieuses, dans sa texture ou la finesse de son grain, une touche d’irrégularité venant en souligner le caractère wabi.


Bol à thé en grès Raku noir - Morihiro Hosokawa

Wabi-Sabi et bonsaï

La vision esthétique japonaise est indissociable d’une approche bouddhiste du monde, et la création artistique, par l’intermédiaire du concept wabi-sabi, défend les mêmes valeurs exercées au travers des arts traditionnels : jardin, céramique, ébénisterie, tissage, calligraphie, bonsaï, suiseki, etc… L’art et l’artisanat ne font qu’un, sous un seul vocable : Katachi signifiant à la fois forme et fonctionnalité, mais dans une idée plus large où l’art est à la fois un processus de vie et d’expression de spiritualité, dans une relation intime de l’artiste à l’objet réalisé, comme de l’utilisateur à l’objet qu’il s’approprie.

Le bonsaï japonais ou chinois contient toutes ces caractéristiques, si difficilement compréhensibles pour un non initié. Pour nous autres occidentaux, à moins de poursuivre une quête spirituelle bouddhiste ou zen, cette démarche artistique peut paraître sinon obscure, du moins s’affirmer presque inaccessible. Et pourtant, au cours des siècles, différents courants, religieux ou philosophiques ont traversé notre civilisation, prônant peu ou prou des vertus assez proches par certains aspects. Saint Augustin tout d’abord, puis plus tard la Réforme et le jansénisme, développeront une certaine moralité élevée, faite de rigueur et d’austérité vis à vis des excès de toute sorte, et contre la vacuité et les vaines actions des puissants, vilipendant le paraître et l’arrogance. Sans doute la société moderne consumériste nous a-t’elle éloigné et coupé de notre proximité d’avec l’idée de Nature, jusqu’à ne plus la considérer que comme objet de consommation individualiste.

Le bonsaï est poésie. "C’est aussi une expression esthétique qui raconte une histoire et évoque une émotion" comme le souligne Morten Albek. Les maîtres japonais ne se considèrent pas comme artistes au sens occidental du terme, car pour eux il ne peut y avoir d’œuvre ni chef-d’œuvre, dans la mesure où ce serait prétention et fatuité, en totale contradiction avec l’esprit du wabi et du sabi.

L’arbre est un don de la nature, l’homme doit s’effacer et se borner à en révéler le caractère, la beauté simple et tranquille ou parfois sauvage, mais naturelle avant tout. L’homme est derrière l’arbre, pas devant. Nulle revendication ni postulat, dans la construction du bonsaï, mais la recherche de la perfection dans l’altération pieusement conservée d’une vieille écorce patinée par le temps, ou dans le placement apparemment désordonné des branches. La codification des styles, elle-même, n’est qu’apparence, un chemin qu’il faut emprunter et savoir quitter pour sublimer la beauté d’un arbre âgé. Le temps fait son office pour effacer toute trace de l’intervention humaine ; l’émotion naîtra au creux d’un shari, en suivant la courbe irrégulière d’une branche ou dans le jeu de la lumière traversant une frondaison.

La présentation des arbres en exposition fait appel aux règles du Kazari, elles-mêmes issues de celles qui régissent l’art de la présentation dans le Tokonoma, qu’il s’agisse d’une composition florale (Ikebana), d’un Kakemono seul ou associé à un Suiseki ou un objet zen.
Les caractères Wabi-Sabi sont indissociables du Kazari et chaque amateur soucieux d’exposer un bel arbre devrait en avoir acquis les rudiments en associant harmonieusement et sobrement : arbre, pot, tablette et Shitakusa.

Nous pratiquons quelques éléments de Wabi-Sabi sans presque nous en rendre compte, par le respect que nous apportons à nos arbres, cherchant leur intrinsèque beauté, espérant la révéler et considérer les imperfections comme autant de valeurs. Sans doute nous faudra-t’il encore plus d’humilité et de patience, pour atteindre cette perfection imparfaite que les Japonais savent placer dans leur bonsaï jusqu’au raffinement le plus subtile.

La contemplation solitaire de nos arbres, en ce qu’elle apporte de paix intérieure et de douceur, effaçant nos soucis et les stress d’une vie moderne, nous rapproche un peu de cette culture japonaise qui nous fascine tant.

Photo Penjing


Pour aller plus loin, quelques ouvrages, hélas en Anglais :
- The Book of Tea (1964) By Kakuzo Okakura
- Wabi Sabi Suki - The essence of Japanese beauty - Itoh Teiji (1993)
- Wabi Sabi for Artists, Designers, Poets and Philosophers - Leonard Koren (1994)
- Wabi Sabi : the Japanese Art of impermanence - Andrew Juniper (2003)
- Living Wabi Sabi The true beauty of your life - Taro Gold (2004)
- Wabi Sabi Simple Create beauty, value imperfection, live deeply - Richard Powell (2004)

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