Suiseki
Enfant, on a tous ramassé des galets sur une grève, au bord d’un ruisseau ou dans la poussière d’un chemin, déjà fasciné par leurs couleurs, leur aspect lisse ou rugueux, leurs mystérieuses strates minérales. Certains de ces cailloux, plats et ronds ont achevé leur course au fond d’un étang, après plusieurs ricochets sur la surface de l’eau, d’autres comme serre-livres, comme objet décoratif ou mémoriel, lié au moment particulier de leur trouvaille.
De la pierre au suiseki
Ce qui distingue un suiseki du simple caillou, c’est sa capacité à suggérer un univers, la figuration à l’échelle miniature d’un paysage de montagne, d’un personnage ou d’un animal. La pierre trouvée accède alors à un autre niveau, par sa simple beauté ou sa seule force évocatrice. Elle est, à nos yeux et intuitivement, possédée et sublimée pour ses qualités propres et intangibles. Le plaisir de son contact velouté, froid, anguleux, crevassé, étant, pourquoi pas, inconsciemment issu de cette singulière relation multi-millénaire qui unit l’homme au minéral, tantôt simple objet usuel quand il s’agissait d’outils polis ou de pointes de flèche, matériau convoité et tant recherché quand il est précieux et rare, ou abri protecteur tel une grotte ou une caverne.
Notre regard peut s’émerveiller devant ces pierres collectées et habilement placées sur un support de bois que les Japonais savent si bien présenter et pour cause, ils ont développé un art traditionnel à part entière qui n’a rien à envier à d’autres formes artistiques plus convenues.
Mais alors que l’artiste modifie ou transforme la matière, le découvreur de pierre investit la pierre et c’est son seul son regard qui transforme l’objet minéral en œuvre d’art. Les Japonais, par leur relation si particulière à la nature, à nos yeux d’occidentaux, ont su conférer à l’éclat minéral, des qualités supplémentaires, les distinguant de la simple matière, en le parant d’un postulat symbolique, religieux ou philosophique. La pierre issue des combinaisons telluriques et métamorphiques de la Terre, au fil des millénaires, devient support de rêve et d’imaginaire.
Origine et philosophie des suiseki
Il est certain que les premières pierres d’intérêt ont été importées de Chine, soit par des moines bouddhistes, soit en tant que cadeau de l’empire céleste à la cour impériale nippone. On trouve trace de cette introduction à partir du VIème siècle, sous le règne de l’impératrice Suiko (Suiko Tennô, 554-628) qui voulu entretenir des rapports d’égalité avec l’empereur de Chine, Yangdi de la dynastie Sui. C’est d’ailleurs en 594 que le bouddhisme est reconnu officiellement. A l’époque, ces pierres chinoises étaient probablement d’aspect très tourmenté.
Ce seront ensuite des pierres collectées par les moines, comme support de prières et de méditation, une pierre représentant le mont Shumi, montagne mythique déclarée centre du monde dans la tradition bouddhiste, ou encore le Horai , le paradis taoiste. Le mont Shumi est encore symbolisé dans les jardins secs japonais par la plus haute des pierres.
Ces pierres sont d’abord présentées dans des petits bassins d’eau, dans une composition de paysage miniature.
Système de classification des pierres (source : The Japanese Art of Stone Appreciation)
Par forme, couleur, texture, origine.
Ce système très "japonais" s’avère difficile à embrasser dans sa totalité, tant les aspects des pierres peuvent recouvrir de réalités différentes. Si l’origine géographique des pierres prend son importance au Japon, elle n’a qu’une très mince signification pour l’amateur européen, sauf à vouloir se constituer une collection uniquement à partir de suiseki japonais parmi le noir intense des pierres de Kamogawa ou du brun rouille de celles de Kurama. Pour le passionné de suiseki, l’attrait de la découverte le poussera d’abord à rechercher ce qui lui est plus plus proche, des Pyrénées aux Alpes provençales ou en Ligurie italienne. La recherche des pierres constituant en elle-même l’un des principaux attrait de cet art.
Cet article se borne à circonscrire le monde des pierres aux seuls caractères de forme, sans doute plus appréhendables, d’une infinie richesse cependant. Une pierre de forme, par sa compréhension immédiate, s’avère mieux à même d’accompagner une présentation de bonsaï, ou de figurer seule dans une exposition de suisekis qu’une pierre, belle par sa texture et sa couleur, mais dont la forme demeure abstraite. Les couleurs et textures font appel a bien des nuances et les dénominations japonaises sont si nombreuses que seul un livre pourrait en tracer les contours.
Par Forme :
A- Pierres paysages (Sansui kei-seki ou Sansui keijô-seki)
1– Pierre montagne Yamagata-ishi. Représente une montagne lointaine, une chaîne de montagne Montagne éloignée Toyama-ishi/Enzan-seki
Montagne vue de près Kinzan-seki
Montagne avec un seul pic Koho-seki
Kinzan-Koho-seki - coll. levo
Montagne avec deux pics Soho-seki
Montagne avec trois pics Sampo-seki
Chaîne de montagne avec plusieurs pics distincts Rempo-seki
Rempo-seki - revue Wabi N°16
Montagne avec un relief accidenté Seigaku-seki
Montagne avec une pointe blanche suggérant une calotte de neige éternelle Sekkei-ishi
Seikkei-ishi - revue WABI N°3
2- Chute d’eau Taki-ishi Pierre parcourue par une ou plusieurs lignes minérales blanches verticales, suggérant une cascade Chute d’eau unique Itodaki-ishi suggérée par une fine ligne de quartz sur la face de la pierre
Itodaki-ishi - revue WABI N°16
Plusieurs Chutes d’eau Nudodaki-ishi Lignes plus nombreuses en minéraux clairs ou blancs descendant sur la face avant de la pierre
Chute d’eau sèche Karedaki-ishi Sillon creusé suggérant une chute d’eau
3- Montagne avec des torrents Keiryû-seki Ruisseaux ou torrents qui traversent la vallée. Des veines souvent blanche de quartz ou de calcite, suggèrent les torrents. Idéal si les flux s’étendent en diagonale, par rapport à l’avant de la pierre.
4- Pierre plateau Dan-seki/Dan-ishi Un ou plusieurs plateaux horizontaux séparés par des falaises presque verticales. Souvent 1 à 2 plateaux, une pierre à 3 plateaux étant plus rare et recherchée.
Dan-seki - revue WABI N°3
Dan-seki - revue WABI N°16
5- Pierre-île Shimagata-ishi Représente une île lointaine affleurant l’eau,, de faible hauteur, comportant criques ou baies, généralement présentée dans un suiban ou doban rempli de sable pour suggérer l’eau.
Shimagata-ishi - Coll. Daniela Schifano
6- Versant de montagne Doha-seki/Doha-ishi Suggère une étendue s’élevant doucement vers une colline ou une falaise
7- Pierre-rivage Isogata-ishi Pierre basse évoquant un rivage côtier Récif Araiso/Araiso-ishi Pierre basse avec un récif dentelé
Banc de sable Hirasu/Hirasu-ishi pierres lisses suggérant un banc de sable ou plage tranquille.
8- Pierre-bassin Mizutamari-ishi Dépression ou creux, lisse, évoquant un bassin, un étang ou un lac de montagne
Mizutamari-ishi
9- Pierre-rocher Iwagata-ishi Suggère un rivage élevé battu par les vents, comme un rocher au large des côtes ou une falaise abrupte au bout d’un cap ou d’une presqu’île. Des dépôts minéraux clairs au pied de la pierre sont très recherchés car évoquant les brisants.
Iwagata-ishi - revue WABI N°14
10- Pierre-caverne Dôkutsu-ishi Cavité profonde évoquant une grotte dont le fond ne peut être vu. Les plus admirées sont celles avec une banquette devant la grotte s’inclinant fortement vers la gauche ou la droite
11- Pierre-abri Yadori-ishi Abri peu profond formé par un surplomb de la falaise, le plancher de l’abri doit être bien visible et accueillant.
12- Pierre-tunnel Domon-ishi Trou traversant la pierre évoquant un tunnel, une arche
Domon-ishi - coll. Penjing
B- Pierres-objet Keishô-seki
1- Maison Yagata-Ishi - Hutte au toit de chaume Kuzuya-ishi
Kuzuya-ishi - revue WABI N°18
2- Bateau Funagata-ishi
Funagata-ishi - revue WABI N°14
3- Pont Hashi-ishi
4- Animal Döbutsu-seki
Dôbutsu-seki - Cheval, coll. Hélène
Dôbutsu-seki - Bouledogue, coll. Penjing
5- Oiseau Torigata-ishi
Torigata-ishi - coll. Hélène
6- Insecte Mushigata-ishi
7- Poisson Uogata-ishi
Uogata-ishi - coll. Hélène
8- Silhouette ou figure humaine Sugata-ishi Jimbutsu-seki
Silhouette d’un pêcheur à la ligne - coll. particulière